La réglementation sanitaire européenne interdit formellement la vente du Casu Marzu, mais sa production artisanale persiste en Corse. Ce fromage, jugé illégal dans de nombreux pays, continue pourtant d’être consommé lors de certaines fêtes locales.L’incorporation volontaire d’asticots vivants dans la pâte constitue une étape essentielle de la fabrication. Cette méthode, transmise au sein de familles insulaires, confère au produit une texture et un goût singuliers recherchés par les connaisseurs.
Casu marzu : un fromage corse pas comme les autres
Dans l’univers des fromages corses, le casu marzu, ou casgiu merzu, attire autant qu’il intrigue. Ce fromage corse avec asticot illustre l’attachement de l’île à ses traditions ancestrales issues des plaines corses et sardes. Entièrement élaboré à partir de lait de brebis, il s’inspire du pecorino pour mieux bifurquer : la présence assumée de larves vivantes de la Piophila casei transforme radicalement la version classique du fromage.
Comment procéder ? Un fromage frais, le plus souvent du pecorino, est placé à découvert. La mouche vient pondre ; les larves éclosent et entament leur ouvrage. Au fil des jours, la pâte s’assouplit, crémeuse, presque coulante par endroits. Le parfum, affirmé, s’accompagne d’un piquant qui saisit. Ceux qui connaissent les saveurs corses reconnaissent la force du brocciu ou la rusticité du venachese, mais ici, la touche fermentaire déroute ou conquiert sans détour.
Le casu marzu n’est pas un simple fromage local. Il suggère un acte presque cérémonieux : présenté sur une tranche de pain robuste, accompagné d’un vin blanc sec du Cap Corse ou d’un Patrimonio, il se partage entre initiés. Pour les puristes, le fromage n’est vraiment prêt que si les asticots remuent encore, preuve ultime de fraîcheur et d’authenticité. Ce rituel, parfois déroutant, relève autant d’une histoire familiale que d’une culture fièrement revendiquée.
Comment les asticots transforment le fromage en spécialité unique ?
Ce qui distingue fondamentalement le casu marzu, c’est le rôle central des larves vivantes de la mouche Piophila casei dans l’affinage. Dès que le fromage de brebis arrive à maturité, on l’expose à l’air pour inviter ces petites ouvrières. Les œufs éclosent : les asticots entament ensuite leur travail de fond, pénétrant la pâte et accélérant la transformation du produit.
Ce procédé agit directement sur la texture et la saveur. À mesure que les larves digèrent la pâte, elles la rendent particulièrement crémeuse, voire liquide en son centre, tandis que la palette aromatique se concentre et s’intensifie. Les notes animales prennent le pas, la puissance domine, le piquant s’installe durablement en bouche.
Pour mieux cerner la magie opérée par ce procédé, voici ce que viennent chercher les passionnés de casu marzu :
- Texture : une onctuosité à part, idéale pour tartiner, d’une douceur presque insolente.
- Arômes : puissance, caractère animal, notes de fermentation, soupçon d’amertume en finale.
- Goût : intensité, côté poivré, longueur en bouche qui marque.
Goûter ce fromage corse avec asticots, c’est quitter le confort des saveurs familières. Ceux qui s’y risquent découvrent un vrai dialogue entre la main du berger, la nature insulaire et le courage gustatif.
Secrets de fabrication et rituels de dégustation du casu marzu
La fabrication du casu marzu s’appuie sur des gestes transmis de génération en génération. Tout commence par un fromage de brebis affiné, tradition oblige, en général un pecorino sorti à l’air libre pour accueillir la mouche Piophila casei. L’intervention humaine est minimale : l’artisan surveille l’évolution de la texture et veille à ce que le fromage atteigne son point d’équilibre parfait. Ni trop ferme, ni liquide.
Devant le durcissement des règles sanitaires, certains producteurs tentent d’autres voies. Ils reconstituent l’esprit du casu marzu, sans nécessairement miser sur la présence de larves vivantes, preuve que la tradition s’adapte, sans disparaître pour autant.
Quant à la dégustation, elle suit un protocole presque liturgique. Au menu des fêtes locales ou lors des grandes tablées familiales, la pâte délicatement prélevée vient napper un pain de campagne grillé. Côté boissons, tout est affaire de subtilité : blanc sec du Cap Corse pour jouer sur la fraîcheur, Patrimonio pour soutenir la structure. Certains s’aventurent même à marier ce fromage avec une eau-de-vie, pour une expérience où l’intensité fait loi.
Loin de rester cantonné à quelques fermes, le casu marzu fait parler de lui au-delà des frontières de l’île. Rareté, transmission de la recette, défi lancé aux papilles : tout concourt à imposer ce produit comme un fragment vivant de la culture corse.
Entre tradition, controverse et fierté insulaire : la place du casu marzu dans la culture corse
Plus que son parfum, le casu marzu illustre un mode de vie : celui d’une tradition corse qui échappe à la standardisation. En choisissant de perpétuer ce fromage de brebis pas comme les autres, l’île affiche sa volonté de préserver une filiation et une mémoire, au mépris des réglementations venues d’ailleurs. Beaucoup de familles perpétuent ces gestes à l’abri des regards, sur fond de défi lancé à la généralisation des normes.
La polémique, elle, ne désarme pas. Les règles européennes bannissent sa vente officielle pour des enjeux de santé. On trouve alors le casgiu merzu sous le manteau, transmission à la main, loin des étals réglementés. Face à la demande persistante, qu’elle vienne des Corses ou d’amateurs intrigués par ce produit unique,, les producteurs affrontent la pression et l’ambiguïté, notamment lorsque les discussions s’ouvrent sur les risques liés à l’ingestion de larves ou aux protocoles de sécurité alimentaire.
Ce fromage se vit aussi comme une affirmation identitaire forte. Fierté familiale, secret partagé, symbole d’une île attachée à ses différences, le casu marzu circule de fête en fête, nimbé d’une réputation sulfureuse. Les débats vont toujours bon train au sujet d’une éventuelle reconnaissance, voire d’une protection officielle, mais la balance penche encore du côté de la tradition et de la prudence, tant les freins sanitaires semblent lourds.
Immuable et marginal, le casu marzu s’obstine à écrire sa légende dans la marge. Entre adaptation, résistance et audace, il projette sur la Corse une image forte, celle d’un territoire qui choisit ses propres règles, sans renoncer à ses saveurs inoubliables. Sa place est celle des originaux : souvent discuté, rarement égalé, éternellement sujet à controverse. À la prochaine fête, qui osera encore goûter ce fromage qui ne ressemble à aucun autre ?